Cette phrase célèbre du roman 1984 de George Orwell a su marquer l’imaginaire collectif du XXe siècle. À la fois critique et descriptive, cette lecture des régimes fascistes et autoritaristes du début de ce siècle aura permis pour plusieurs de réfléchir aux dangers d’une appropriation totale par l’État des structures communicationnelles, économiques, politiques, judiciaires et militaires. Une analyse prophétique ?
George Orwell imaginait Big Brother sous la forme de milliers de caméras disposées dans toutes les sphères de votre vie afin de savoir, en tout temps, où vous en étiez. Prophétique car Orwell ne connaissait pas Google, Facebook et encore moins le réseau Wifi de l’UQO. Comparer Big Brother et Facebook avec le réseau de l’UQO, une exagération ? Peut-être pas.
Mentionnons d’abord les caméras disposées « aléatoirement » dans le pavillon Alexandre-Taché. Elles sont apparues après la grève de 2012 au sein de notre bienveillant établissement. Et le mot est à propos : qui veille bien, sur nous toutes et tous. Certains diront ; « Oui mais les caméra relèvent d’une décision administrative ayant été adoptée à l’été 2011, soit un an avant la grève! ». Nous en convenons. Ainsi, il n’y aurait aucun hasard dans la concordance entre ces deux évènements. Nous argumenterons néanmoins que ces caméras ont été majoritairement, si ce n’est exclusivement, disposées dans un seul pavillon et il s’agit, par tout « hasard », du pavillon où se retrouvent les trois associations modulaires ayant été les premières à voter la grève en 2012 et souvent reconnues pour leur plus fort militantisme. Pourquoi les sciences humaines et sociales méritent-elles la surveillance carcérale alors que ceux d’administration et de comptabilité s’en excluent en raison de leur allégeance inconditionnelle à leur bienveillante administration [1]. Il s’agit-là, d’un exemple évidant de profilage politique.
Les médias sociaux stockent des quantités importantes d’informations plus ou moins à l’insu des utilisateurs. Il y a, bien sûr, un formulaire de consentement et de non-responsabilité légale à accepter… mais le tout devient vite transparent. Eh bien, il se produit la même chose avec le réseau informatique de l’UQO où, pire, on y dispose des caméras de surveillance pour lesquelles nous ne signons strictement rien. N’avoir « rien à cacher » ne répond en rien au réel danger de cette surveillance constante et banalisée. Elle est une atteinte fondamentale à notre vie privée et aux libertés associatives, syndicales, civiles et individuelles des membres de la communauté universitaire.
Par ailleurs, saviez-vous que l’UQO se donne le droit d’intervenir dans vos activités informatiques et ce, afin de « protéger ces ressources et les utilisateurs contre une utilisation non conforme, abusive ou illégale qui pourrait en être faite.[2] » ? Dans le document intitulé Règlement relatif à l’utilisation des ressources informatiques et de télécommunication on peut lire que :
« Dans le cadre de ses activités de contrôle et de vérification, l’Université reconnaît son obligation de respecter la dignité, la liberté d’expression et la vie privée des utilisateurs.
Toutefois, le responsable peut procéder à toutes les vérifications d’usage jugées nécessaires pour assurer le respect de ses dispositions, ainsi que des autres règlements, politiques, procédures et normes institutionnelles ou des lois et règlements provinciaux ou fédéraux. […]
Une vérification des renseignements personnels et privés d’un utilisateur […] ne peut être effectuée sans le consentement de cet utilisateur, à moins que le responsable n’ait des motifs raisonnables et probables de croire que cet utilisateur contrevient au Règlement [3] ».
Vous nous laisserez, nous vous en prions, rendre compte à la lumière de cette lecture, d’un contrôle de l’information et de la vie privée à un degré des plus élevés. Si contrôler l’information implique aussi le filtrage de ce que le « responsable » juge comme entravant le bon fonctionnement du système et de son université, l’analogie à du totalitarisme institutionnel nous semble ici, en aucun cas, exagérée. Rappelons tout de même, pour ajouter du poids à nos propos, que la poursuite d’un examen de votre dossier informatique et de votre utilisation du réseau sans-fil – c’est-à-dire également les activités que vous effectuez sur vos cellulaires – ne requiert aucune approbation de votre part. Mais rassurez-vous, si jamais on épie vos conversations personnelles, qu’on lit vos courriels ou qu’on se donne le droit de mettre le nez dans vos conversations Facebook, on prendra bien soin de vous en faire part… par après et seulement si, à la fin du processus, on a trouvé une bonne raison de le faire !
« Lorsqu’une vérification des renseignements personnels et privés d’un utilisateur ou de son utilisation des ressources informatiques et de télécommunication a été effectuée et que l’ensemble du processus de vérification est complété, l’utilisateur doit être informé de la vérification qui a eu lieu, des motifs ayant justifié celle-ci et des renseignements qui ont été consultés dans ce cadre » [4].
En plus de cette « fouille virtuelle » au caractère foncièrement arbitraire, il faut savoir que des sanctions toutes aussi arbitraires pourraient être appliquées à l’étudiantE « contrevenantE » et que celles-ci sont « finales et sans appel [5] ». Faites-en la lecture que vous en voulez. Nous y voyons là, un danger vers une dérive totalitaire administrative plus qu’évidente.
D’ailleurs, on peut se questionner sur la possibilité d’un traitement inégalitaire (voire totalement abusif) de la part de la direction de l’UQO sur un ou des individus suite à une fouille comme elle s’autorise à faire. Se pourrait-il que certainEs chargéEs de cours n’aient pas accès à certains cours ou à un poste régulier en raison de leurs positions politiques ? Que dire de candidatEs aux bourses de l’UQO? Les scrute-t-on à la loupe afin de n’attribuer celles-ci qu’aux plus « méritantEs », aux plus dociles ? Qu’est-ce qu’un motif raisonnable pour fouiller des informations personnelles ?
Le document souligne d’ailleurs, à titre de conclusion, la possibilité d’une telle entrave à votre intimité et votre vie privée : « [L]’utilisateur doit présumer que toute communication, personnelle ou non, qu’il crée, envoie, reçoit ou mémorise par l’intermédiaire des ressources informatiques et de télécommunication de l’Université peut être lue ou entendue par quelqu’un d’autre que le destinataire [6] ».
À ceux et celles qui liront cet article et considèrerons l’application de cette politique par l’université comme légitime, questionnez-vous sur la façon dont vous utilisez les courriels et l’internet au sein de l’établissement. Il suffirait, selon cette politique de contrôle social, d’une présomption d’actions pouvant aller à l’encontre de l’établissement, ou plutôt à l’encontre de l’idéologie de l’établissement, pour en faire son utilisation.
L’université n’est-elle pas le haut lieu de la liberté ? Libre de penser, libre de critiquer, libre d’apprendre de manière égalitaire pour toutes et tous et surtout, libre de s’associer pour assurer le respect de ces premières formes de libertés ? Cela implique également la liberté de s’approprier symboliquement, par le moyen de mobilisations, d’activités inclusives ou artistiques, NOTRE université. Pourtant, avec ce règlement, elle devient, sournoisement, un lieu de contrôle et de reproduction des normes hiérarchiques et contraignantes du corps social. Défendre ces formes de libertés c’est penser plus loin que l’université utilitariste, professionnelle ou encore, comme certainEs semblent le penser, un bien de consommation. Cet article vise à la fois à dénoncer cette tangente que prend l’UQO mais également à vous rappeler que nous pouvons tous et toutes agir pour que l’université soit nôtre.
À cet effet, l’Association Générale des ÉtudiantEs de l’UQO a pour mandat d’assurer aux étudiantEs ce cadre de vie et d’apprentissage. Si vous croyez qu’il s’agit, comme plusieurs d’entre nous, d’une atteinte à nos libertés, manifestez-vous lors de l’Assemblée générale annuelle du 6 novembre prochain et donnons un mandat à l’exécutif de revendiquer la mise à mort de ce règlement inspiré de la prophétie orwelienne.
Jean-Philippe Bernard et
Amélie Champagne (Peut-être devrait-on garder l’anonymat?)
[1] Ne faisant pas l’objet premier de notre article, je réfère tout de même le/la lecteur-trice intéresséE à réfléchir sur la question des caméras à consulter le site web mis en place par les étudiantEs de l’UQAM s’opposants à la propagation de cette dérive sécuritaire. Voir : souslescameras.ca.
[4] Secrétariat général (2011), loc cit. p. 5.
[5] Secrétariat général (2011), loc. cit., p. 7.